Dans moins de deux semaines, le Protocole de Kyoto aura force de loi à l'échelle internationale. Le Canada a ratifié le Protocole en décembre 2002 mais il n'est pas certain que nous réussirons à respecter nos obligations. Cela dépendra, d'abord et avant tout, de la détermination du gouvernement Martin à exiger que l'industrie lourde fasse sa juste part dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Le respect de nos obligations de Kyoto représente un défi de taille, non pas parce que le Canada a accepté un objectif de réduction trop élevé, mais principalement parce que nos gouvernements ont fait preuve d'indécision chronique dans ce dossier et qu'ils ont à peine commencé à agir pour réduire les émissions de GES.
Les négociations de Kyoto ont débuté en 1995 et le Protocole a été adopté en 1997. Puis, comme c'est généralement le cas pour les grands traités internationaux, il a fallu attendre quelques années pour régler les formalités d'implantation et obtenir l'adhésion d'un nombre suffisant de pays. Les pays européens ont profité de ces années-là pour faire leurs devoirs et préparer le terrain de façon à être en mesure d'atteindre leurs objectifs. C'est ainsi que l'Europe a pu lancer, dès le mois dernier, l'élément le plus important de son plan pour Kyoto : un système de cibles et d'échange de droits d'émission pour plus de 12 000 établissements industriels.
Alors que l'Europe est déjà en pleine action, on dirait que le Canada en est encore à se demander si sa participation à l'effort mondial de réduction des GES est justifiée... Cette question devrait pourtant être réglée depuis longtemps compte tenu du consensus scientifique sur les changements climatiques et du fait que le pays a adhéré au Protocole il y a plus de deux ans déjà. À quelques jours de l'entrée en vigueur du Protocole, la question ne doit pas être de savoir si, mais plutôt de savoir comment le Canada va agir afin de respecter intégralement ses obligations de Kyoto.
À cause de sa lenteur à agir, le Canada aura plus de difficultés à atteindre son objectif, mais cela ne veut pas dire qu'il soit inatteignable, loin de là. Ainsi, les citoyens devront faire leur part et le gouvernement fédéral semble s'être enfin décidé à imposer à l'industrie automobile des réductions sur les GES émis par les véhicules. Toutefois, il reste un secteur d'activité pour lequel le gouvernement ne se résout pas à exiger une juste part de réduction. Et malheureusement, ce secteur est le plus important producteur de GES au pays.
L'industrie lourde (qui comprend notamment la production de pétrole, de gaz et d'électricité à partir de charbon) est responsable de près de 50 % des GES au Canada. Comme en Europe, un système de cibles et d'échange de droits d'émission pour ces grands émetteurs industriels devrait constituer l'élément le plus important du plan canadien pour Kyoto.
Jusqu'ici, le gouvernement a trop prêté l'oreille aux demandes négatives de l'industrie et il a dilué les cibles à tel point que l'atteinte de l'objectif de Kyoto pour le Canada est maintenant en péril. Même si l'industrie lourde émet 50 % des GES, le gouvernement prévoit lui imposer une réduction obligatoire de seulement 37 à 55 mégatonnes, sur un objectif total de 240 mégatonnes. De plus, le gouvernement lui-même reconnaît que ce total risque fort d'augmenter en fonction des prévisions d'augmentation de l'activité économique.
Face aux dizaines de lobbyistes qui font pression sur le gouvernement à propos de Kyoto, les Libéraux préféreraient ne rien demander de plus à l'industrie. Pourtant, dans le cas du secteur pétrolier, par exemple, le gouvernement estime que l'atteinte des cibles actuelles représenterait une dépense maximale de seulement 25 cents par baril (ce que confirme l'industrie). Compte tenu du prix du baril de pétrole (environ 45 $ USD), ce montant de 25 cents par baril représente pour l'industrie une contribution négligeable à l'atteinte de l'objectif de Kyoto.
Il est primordial d'établir des cibles de réduction appropriées pour l'industrie du pétrole et du gaz. Au Canada, 16 % des émissions actuelles de GES proviennent uniquement des activités de production et de distribution de pétrole et de gaz. De plus, selon les estimations officielles du gouvernement fédéral, ces émissions auront doublé entre 1990 et 2010, notamment en raison de l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta.
Certaines pétrolières ont donné l'exemple et démontré qu'il est possible de réduire les émissions de GES tout en continuant à réaliser d'importants profits. BP, par exemple, a volontairement réduit ses émissions de 10 %, ce qui a créé une valeur ajoutée de 650 millions $ USD pour l'entreprise. " Nous avons constaté que l'efficacité et la réduction des émissions constituaient de bonnes stratégies d'affaires " a déclaré John Browne, le chef de la direction de BP. Pour sa part, Shell Canada a volontairement décidé de réduire de 50 % les émissions prévues pour son nouveau centre d'extraction de sables bitumineux.
Ces exemples parmi d'autres démontrent que le gouvernement devrait établir, par l'intermédiaire se son futur système de cibles et d'échange de droits d'émission, des cibles de réduction obligatoires pour l'industrie du pétrole et du gaz beaucoup plus contraignantes que celles proposées actuellement. Des cibles plus contraignantes entraîneraient des réductions réelles des émissions (dont une bonne partie serait rentable). Pour le reste, l'industrie aurait à acheter des droits d'émission, à un coût minime par rapport à ses revenus.
Si le gouvernement ne raffermit pas les cibles de réduction de l'industrie lourde, il n'aura pas d'autre choix que d'exiger des réductions encore plus importantes de la part d'autres secteurs d'activité, ou de renvoyer la facture aux contribuables pour l'achat d'énormes quantités de droits d'émission sur les marchés canadien ou internationaux.
Ces deux solutions sont inacceptables parce qu'elles constitueraient une importante subvention déguisée à l'industrie et qu'elle s'ajouterait aux autres formes d'aide financière que le gouvernement fédéral consent déjà à l'industrie et notamment au secteur pétrolier. De plus, ces solutions seraient inefficaces d'un point de vue économique.
Pour atteindre l'objectif de Kyoto et contrer les changements climatiques, il faut que tout le monde, incluant l'industrie lourde, fasse sa juste part.