Exploitation des sables bitumineux - Le Canada, producteur de petrole <sale>

June 6, 2008
Op-ed
Published in Le Devoir (June 6, 2008)

Par Marlo Raynolds, Directeur général de l'Institut Pembina et Steven Guilbeault, Cofondateur et coordonnateur général adjoint d'Équiterre

Un sondage réalisé plus tôt cette année par l'Institut Environics révélait que les Canadiens croient que les changements climatiques et la protection de l'environnement constituent l'enjeu planétaire numéro un.

Ce sondage très approfondi portait sur la perception qu'ont les Canadiens de leur place dans le monde. Il démontre de façon très nette que les citoyens du pays se soucient de l'environnement, autant à l'échelle locale que nationale et mondiale, et qu'ils se préoccupent de la façon dont les autres pays perçoivent le Canada.

Malheureusement, la perception du Canada à l'étranger est de plus en plus ébranlée par notre approche pour le moins laxiste en matière de changements climatiques et par le haut niveau de pollution associé à notre production de pétrole extrait des sables bitumineux.

Une industrie extrêmement polluante

L'exploitation des sables bitumineux au Canada a des impacts environnementaux extrêmement intenses et très étendus. On déboise des milliers de kilomètres carrés de forêt boréale et l'on veut exploiter les sables albertains sur une superficie aussi vaste que tout l'État de la Floride.

La production de pétrole à partir des sables bitumineux consomme des quantités énormes d'énergie et génère jusqu'à cinq fois plus de gaz à effet de serre (GES) que la production de pétrole conventionnelle. Elle exige aussi des quantités considérables d'eau. Les eaux contaminées accumulées dans des bassins de décantation couvrent déjà une superficie de 50 km2 et sont si toxiques que 500 canards sont morts après s'y être posés le mois dernier.

D'après un rapport publié récemment par l'Institut Pembina, on rejette 1,8 milliard de litres d'eau contaminée dans ces bassins chaque jour, soit plus que la consommation d'eau de toute la ville de Toronto.

De plus, on ne sait pas si l'on pourra, ni comment il sera possible d'assurer la remise en état des immenses mines à ciel ouvert et, surtout, la décontamination des bassins toxiques. Les populations de caribous forestiers, déjà menacées, continuent de décliner à cause des activités d'exploitation, de la construction des routes et des pipelines, etc.

Jouer à l'autruche

Tous ces faits démontrent clairement que l'industrie des sables bitumineux est une industrie très polluante. Pourtant, au lieu de s'atteler à la tâche d'assainir les pratiques de l'industrie, le gouvernement fédéral et le gouvernement albertain continuent d'approuver de manière expéditive de nouveaux projets, tout en essayant de minimiser l'importance des problèmes de pollution aux yeux de la communauté internationale.

Par exemple, le gouvernement de l'Alberta a lancé une campagne de relations publiques internationale de quelque 25 millions de dollars dans l'espoir de défendre sa gestion des sables bitumineux, mais les opposants ne se sont pas laissés berner et continuent d'exiger que le Canada protège beaucoup mieux son environnement. De même, le gouvernement canadien a fait pression sur le gouvernement américain afin que le pétrole des sables bitumineux échappe à une nouvelle loi qui interdit aux organismes publics américains d'acheter des combustibles à forte production de GES. Malheureusement pour les Canadiens, ces manoeuvres risquent de se retourner contre eux et de faire baisser encore la cote du pays à l'échelle internationale. Pourquoi? Tout simplement parce que les affirmations du Canada vont à l'encontre des faits réels.

Le Canada, délinquant écologique

Partout dans le monde, on pose des gestes concrets pour contrer les changements climatiques, même chez nos voisins du sud. Or, au Canada, les sables bitumineux sont en train de faire de nous l'un des pires retardataires sur la scène internationale. À l'heure actuelle, l'exploitation des sables bitumineux est responsable de 4 % des émissions de GES du Canada, et c'est le secteur où l'on enregistre la plus forte hausse à cause de l'expansion constante de l'industrie.

Pire, la réglementation qui émerge lentement des bureaux fédéraux ressemblera grandement à la très laxiste loi albertaine basée sur l'intensité des émissions, qui ne requiert qu'une légère réduction d'émissions par baril de pétrole produit, et ce, jusqu'en 2018 au minimum.

Les autorités fédérales reconnaissent que, compte tenu de l'augmentation projetée de la production, cette réglementation n'empêchera pas la pollution issue des sables bitumineux de tripler ou presque d'ici les dix prochaines années. Si on maintient le statu quo, l'exploitation des sables bitumineux risque de mettre sérieusement en péril la capacité du Canada de faire sa juste part pour contrer les changements climatiques.

Alerte sur la planète

La production actuelle de plus d'un million de barils par jour a déjà entraîné suffisamment de dommages environnementaux pour alerter la communauté internationale. En fait, les efforts de l'industrie pour assainir ses pratiques sont nettement insuffisants compte tenu de l'augmentation de la production, ce qui signifie qu'au lieu de s'améliorer, la situation globale se détériore.

Pour corriger le tir, il faudrait utiliser de nouvelles technologies permettant de réduire substantiellement les émissions de GES et les rejets toxiques, de réduire ou d'éliminer la consommation d'eau, et d'accélérer radicalement la remise en état et la reforestation des territoires exploités.

Défi de taille

À moins de mettre en application une réglementation musclée qui va dans ce sens, l'appétit des gouvernements fédéral et albertain pour le développement des sables bitumineux ne pourra qu'accentuer la perception négative des autres pays envers le Canada. En fait, les citoyens, les politiciens et les dirigeants du milieu des affaires font face à un grand défi: répondre au désir profond des Canadiens de protéger l'environnement et contrer l'inefficacité chronique du
gouvernement canadien dans le dossier des changements climatiques et de l'exploitation des sables bitumineux.

Tant que l'appui des gouvernements fédéral et albertain au développement des sables bitumineux ne sera pas compensé par un engagement concret pour en minimiser radicalement les impacts environnementaux, le Canada continuera d'être considéré comme un producteur de pétrole «sale».

Pire, à mesure que les observateurs de la scène internationale découvriront la vérité sur les impacts écologiques réels des sables bitumineux, ils comprendront que les campagnes de relations publiques des gouvernements n'étaient que de la poudre aux yeux pour maintenir le statu quo -- et cela risque de renforcer pour longtemps encore la réputation de délinquant écologique du Canada.