Nairobi - La conférence des Nation unies qui vient de prendre fin à Nairobi aura mis au grand jour un véritable gouffre entre l'urgence de lutter contre les changements climatiques et l'embourbement des gouvernements dans des négociations à l'allure glaciale.
Kofi Annan a ouvert la séance ministérielle de mercredi dernier avec un cri d'alarme saisissant. « Il existe un manque effrayant de leadership », a-t-il lancé. Pourtant, « les changements climatiques doivent être vus comme un problème aussi grave que les risques de conflits, la pauvreté et la prolifération des armes, questions qui ont toujours monopolisé l'attention des grands décideurs à l'échelle internationale ».
Rappelons brièvement les faits scientifiques. Si la température moyenne à la surface de la terre augmente de plus de 2 degrés Celsius par rapport au niveau pré-industriel, nous nous trouverons dans une zone d'impacts dévastateurs, comme le déplacement de dizaines, voire de centaines de millions de personnes à cause de la hausse du niveau des océans. Le tiers des espèces vivantes pourraient disparaître, faute de pouvoir s'adapter à temps.
Pour empêcher ce scénario catastrophe, il faut réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) d'au moins 30 à 50 % entre 1990 et 2050. Pour les pays industrialisés, comme le Canada, la réduction doit être d'au moins 80 %. Puisqu'usines et édifices ont une durée de vie mesurée en décennies, il nous reste très peu de temps pour amorcer cette réduction radicale des émissions avant qu'elle ne devienne irréalisable.
Il ne faut pourtant pas désespérer. De nombreuses études suggèrent que les technologies peu émettrices de GES permettraient de réduire radicalement les émissions d'ici 2050 sans perdre plus d'une année de croissance économique. Voilà un sacrifice que nous devrions accepter pour des raisons purement monétaires, puisque les impacts des changements climatiques entraineraient une dépression économique sans précédent. C'est ce qu'a démontré la récente étude exhaustive de l'ancien économiste en chef de la Banque mondiale, Nicholas Stern.
Le défi demeure de taille. L'Agence internationale de l'énergie prévoit quelques 20 mille milliards de dollars d'investissements dans le secteur de l'énergie (principale source des GES) d'ici 2030. Pour réduire radicalement les émissions, il faut réorienter ces investissements vers des technologies propres. Cela n'arrivera que si les gouvernements interviennent de façon musclée, notamment par le biais d'objectifs de réduction obligatoire (assortis d'échanges de droits d'émissions) ou de taxes sur les GES.
Trois choses doivent changer. Tout d'abord, les dirigeants politiques doivent reconnaître haut et fort l'urgence du problème. Pour Tony Blair, les changements climatiques sont « un problème au pouvoir destructeur irréversible, un problème aux conséquences tellement vastes qu'il pourrait affecter radicalement la vie humaine ». Stephen Harper préfère changer de sujet.
Deuxièmement, les gouvernements doivent avoir le courage d'appliquer des mesures ambitieuses sans se laisser paralyser par des craintes exagérées concernant la compétitivité de leurs économies. Onze mille usines de l'Union européenne sont sujettes à des objectifs de GES réglementés depuis 2005. Le gouvernement du Canada propose un tel système seulement pour 2011, avec des objectifs permettant une continuation de la croissance des émissions !
Troisièmement, les pays doivent coordonner leurs efforts afin de minimiser les inéquités. Tous les gouvernements, des pays riches comme des grands pays en développement, doivent poursuivre l'élaboration du programme mondial de réduction de GES d'une manière beaucoup correspondant à l'urgence du problème. Il faut s'entendre sur une deuxième phase du protocole de Kyoto en 2009 au plus tard, afin de laisser assez de temps pour sa ratification avant la fin de la première phase en 2012. Pour y arriver, les vraies négociations doivent commencer dès 2007.
Nous faisons face à une crise climatique en manque effrayant de leadership. Jeudi à Nairobi, la ministre française de l'Environnement, Nelly Olin, s'est dite « extrêmement déçue » et « choquée » face à l'abandon par le gouvernement du Canada de ses obligations en vertu du protocole de Kyoto. Elle a même évoqué la dégringolade électorale des républicains américains comme leçon à retenir pour le gouvernement Harper, compte tenu de la popularité de Kyoto auprès des Canadiens. Il ne faut pas oublier que c'est à nous, les citoyens, que nos leaders sont imputables.